9- Qu'attendre de l'éditeur ?
Qu'est-on en droit d'attendre de son éditeur ? Dans quelle mesure participe-t-il à l'écriture et aux corrections d'un livre ?
Pour commencer par l’aspect légal de la question, l’éditeur est coresponsable, aux yeux de la loi, de ce qu’il publie. En cas, par exemple, de diffamation ou d’œuvre plagiée, l’éditeur sera condamné solidairement avec l’auteur.
Mais il est bien rare que ce cas de figure se présente. Au moment de la relecture et de la correction du texte avant publication, le souci de l’éditeur consiste surtout à défendre et à préserver sa réputation : publier un texte de mauvaise tenue, comportant des lourdeurs, des imprécisions, ou pire encore, des fautes de français et d’orthographe est signe de négligence. Un éditeur digne de ce nom se doit de respecter son lectorat et de lui épargner la lecture d’un travail inachevé.
En conclusion, il est parfaitement légitime, de la part d’un éditeur, de suggérer des modifications à l’auteur, s’il estime que ces modifications sont de nature à élever la qualité finale de ce qui sera publié. Cela ne lui donne pas pour autant le pouvoir de transformer l’œuvre sans l’accord complet de son auteur.
Dan Brown
Aux yeux de la loi française, les droits de l’auteur sont inaliénables. Il reste le maître absolu de sa création et des adaptations qui en seront faites, quels que soient les conditions et les contrats qu’il a pu accepter de signer. En cas de désaccord entre l’auteur et l’éditeur sur une modification ou une adaptation du texte, c’est donc généralement l’auteur qui a le dernier mot devant le tribunal. Si les deux parties ne parviennent plus à s’entendre, le seul recours raisonnable de l’éditeur consiste à envisager une rupture du contrat qui le lie à l’auteur et de renoncer à son projet de le publier, en perdant au passage la totalité de l’investissement qu’il a déjà engagé (avance sur droits d’auteur, s’il y en a, corrections déjà réalisées, etc.)
George Bernard Shaw
Il est intéressant de se pencher sur les conditions dans lesquelles est née la relation entre l’auteur et l’éditeur, car elles en éclairent le fondement.
Le métier d’éditeur, dans son acception actuelle, n’apparaît que très tardivement dans l’histoire de la littérature. Avant le dix-neuvième siècle, l’éditeur est défini comme un « homme d’étude qui a soin de l’édition de l’ouvrage d’un autre, et pour l’ordinaire d’un Auteur ancien, car Éditeur ne se dit ni des ouvriers-imprimeurs, ni d’un auteur qui imprime ses propres ouvrages » (Dictionnaire de Trévoux, 1743). Avant le 18e siècle, ce métier n’existe tout simplement pas. Comment faisait donc un auteur pour faire publier sa création ? Il l’apportait chez un libraire-imprimeur (les deux professions étaient presque toujours associées) qui se chargeait à la fois de l’impression et de la vente de l’ouvrage (La notion de « diffusion » n’existait pas. L’ouvrage n’était souvent disponible que chez un seul libraire). C’est le souci de qualité et la conscience professionnelle de ces libraires-éditeurs qui les ont peu à peu amenés à relire les textes proposés avant de les imprimer, puis à suggérer des ajustements sur leurs contenus, quand cela leur semblait utile ou nécessaire.
Cette vision historique présente donc l’édition comme une étape de « vérification » de la qualité d’un manuscrit. Le texte proposé à la publication était censé être une version aboutie de l’œuvre, déjà expurgée de ses lourdeurs, de ses imprécisions et de ses fautes diverses.
Cet intertitre n’a aucune connotation raciste : l’expression « nègre littéraire » désigne celui qui écrit ou réécrit un texte qui sera signé par un autre. Un métier peu connu (et pour cause, puisque le « nègre » est censé travailler dans l’anonymat !), qui existe sans doute depuis l’origine de la littérature. Selon l’importance du travail d’écriture ou de réécriture, un nègre littéraire se paye entre 3 000 et 20 000 euros par livre, lorsqu’il est rémunéré au fixe, ou un tiers des droits d’auteur lorsqu’il est payé au résultat.
Comme le point suivant va vous le démontrer, l’éditeur n’a aucunement les moyens de réaliser cet investissement s’il n’est pas certain que l’ouvrage concerné deviendra un bestseller dépassant au minimum les 5 000 ventes en librairie (ce qui est plutôt rare !)
Contrairement à une croyance de plus en plus répandue chez les auteurs, le rôle actuel de l’éditeur reste très proche de celui des antiques libraires-imprimeurs. L’ère industrielle et commerciale qui s’est instaurée depuis lors, y ajoute seulement les contraintes de présentation (marketing) et de maîtrise du réseau commercial, désormais indispensables à la vente de l’ouvrage.
Même si la majorité des éditeurs d’aujourd’hui s’acquitte à peu près honorablement de la tâche de vérification orthographique et grammaticale des textes publiés, bien rares sont ceux qui prennent la peine de faire des suggestions sur le contenu, sur la qualité de la rédaction, et encore moins sur des aspects tels que la construction de l’histoire ou le traitement des personnages.
C’est qu’ils n’en ont absolument pas les moyens, compte tenu du rapport financier de plus en désastreux que promet l’édition d’un ouvrage ! En France, si l’on exclut les résultats des cinq plus gros éditeurs (qui raflent la plupart des ventes, notamment avec les bestsellers d’origine américaine et ceux des « grands auteurs » francophones), les ventes moyennes d’un livre édité à compte d’éditeur (c’est-à-dire avec une présentation et un réseau de distribution qui sont censés être de qualité) sont aujourd’hui de l’ordre de 600 exemplaires.
80 % des ouvrages imprimés actuellement à compte d’éditeur ne dépassent pas les 1000 ventes (les statistiques sont encore bien plus mauvaises si on examine la totalité des ouvrages publiés en France, c’est-à-dire si l’on inclut les livres imprimés à compte d’auteur).
L’ordre de grandeur de ce que rapporte un livre vendu à 600 exemplaires à son éditeur se situe autour de 4 500 euros (pour un prix de vente moyen de 15 euros, une fois le diffuseur et le libraire payés). Avec cette somme, l’éditeur devra rétribuer l’auteur (entre 450 et 900 euros, selon les droits négociés), payer le maquettiste (composition de l’ouvrage et conception de la couverture, soit environ 350 euros), le relecteur (correction orthographique et grammaticale, soit environ 200 euros), l’imprimeur (entre 2 500 et 3 000 euros pour un tirage à 1 000 exemplaires) et financer ses propres frais de gestion (comité de lecture, secrétariat, gestion du dossier, etc., soit un minimum de 2 000 euros). L’ensemble de ces frais (sans parler de bénéfices ! ! !) s’élève à plus de 6 000 euros, pour une rentrée souvent inférieure à 4 500 euros.
Ne cherchez pas l’astuce ! La plupart des livres édités le sont à perte. Les éditeurs ne parviennent à la rentabilité que grâce aux très rares ouvrages qui se vendent à plus de 1 000 exemplaires et dont les bénéfices couvrent (éventuellement) les pertes qu’ils réalisent sur le reste de leur production. Autant dire que l’exercice est extrêmement périlleux et que les éditeurs qui gagnent vraiment leur vie représentent une infime partie de la profession. La majorité d’entre eux travaille par passion et ne rémunère pas entièrement le temps qu’elle investit dans cette activité. Même si elles rechignent à l’avouer, les petites maisons d’édition ne se composent généralement que d’une ou deux personnes qui touchent des salaires de misère et réalisent des économies en regroupant les rôles du comité de lecture et du secrétariat, tout en assurant les relations avec l’auteur, la correction et, lorsqu’elles en ont les compétences, la mise en page et la conception de la couverture.
Au fond, les choses n’ont pas beaucoup évolué depuis les imprimeurs-libraires du 18e siècle : il s’agit d’un métier de passionné qui ne nourrit pas son homme. L’édition a connu un âge d’or au 19e et au 20e avec la baisse des coûts d’impression qu’à entraîné l’industrialisation de la filière. C’est au cours de cette période que tous les grands éditeurs actuels se sont créés (Gallimard, Hachette, Flammarion, Le Seuil, Fayard, Grasset et plus tardivement, Albin-Michel). Depuis, ces sociétés ont rachetés leurs rares concurrents importants et se sont souvent regroupées (Flammarion est désormais la propriété de Gallimard, par exemple). Elles assurent leurs positions et verrouillent la filière en empêchant l’émergence de challengers par divers procédés très efficaces (le contrôle des filières de distribution et la gestion des prix littéraires, entre autres). Les petits éditeurs qui tirent leur épingle du jeu sont extrêmement rares et exploitent le plus souvent des « niches » ignorées ou dédaignées par les grands groupes : publications régionales, beaux livres, etc.
Telle est la dure réalité de ce métier que l’ère du numérique viendra peut-être oxygéner.
L’ensemble de ces éléments suffit à expliquer la façon dont les éditeurs sélectionnent les manuscrits qu’ils choisissent d’éditer et gèrent leurs relations avec leurs auteurs : seuls les textes qui bénéficient d’uneparfaite maîtrise de la rédaction et d’un excellent niveau d’achèvement (pas de lourdeurs, ni d’imprécisions, très peu de fautes de grammaires et d’orthographe) peuvent être édités de façon plus ou moins rentable sans nuire à la réputation de qualité que la plupart des éditeurs recherchent. En raison d’une offre littéraire de plus en plus fournie (près de 70 000 ouvrages sont publiés chaque année), le lectorat est de plus en plus exigeant et la sélection des manuscrits de plus en plus sévère, puisque l’espérance de gain ne cesse de diminuer.
Il est parfaitement inutile d’envoyer un « premier jet » de votre texte à un éditeur. À moins que vous ne soyez doté d’un génie qui transcende la logique que je viens d’exposer, vous n’avez aucune chance de voir un manuscrit bâclé se faire éditer.
Et si vous avez la chance de faire partie des élus, ne comptez pas sur votre éditeur pour vous faire remarquer les quelques faiblesses que votre texte comporte encore. L’immense majorité d’entre eux le publiera tel quel. Vous en serez quitte pour assumer vos erreurs vis-à-vis des lecteurs sans pitié qui les pointeront du doigt. Comptez sur eux : les siècles qui s’écoulent ne changent rien à la sévérité des critiques, bien au contraire !
Si cette lecture vous a décoiffé et que vous hésitez désormais à confier votre œuvre à un petit éditeur, à présent que vous connaissez leurs conditions de travail, vous devez réaliser que les « grands » éditeurs, qui ont les moyens de se payer un « vrai » comité de lecture et des correcteurs attitrés, sont réputés pour être bien plus « radins » que les petits : droits d’auteur ridicules et payés au lance-pierre, droits des illustrations à la charge des auteurs, travail de correction réalisé à la sauvette… aucune économie ne semble superflue.
Et quelle que soit la considération qu’il porte à ses auteurs, un éditeur qui occupe une place importante sur le marché se doit d’être particulièrement exigeant dans la sélection des manuscrits. Il peut facilement se le permettre ! Avec plusieurs dizaines de propositions reçues chaque jour et des places en rayon qui sont de plus en plus rares (même pour lui), il n’a pas le moindre intérêt à accepter un texte insuffisamment travaillé.
Bernard Werber
Se relire, encore et encore, se faire aider par de bonnes âmes pour aboutir à un texte d’une qualité irréprochable, user des logiciels de correction orthographique qui existent désormais… il n’y a pas d’autres voies pour avoir une (petite) chance d’être édité et pour ne pas avoir à rougir plus tard ce que vous êtes parvenu à faire publier.
Il est évidemment impossible de comparer précisément la proportion de temps qui doit être consacré aux corrections, à celui de la rédaction : cela dépend énormément de la maîtrise dont bénéficie votre « premier jet ». Mais voici quelques moyennes auxquelles souscrit un grand nombre d’auteurs (y compris des auteurs devenus célèbres) :
- pour un auteur débutant, le temps de correction doit représenter deux à quatre fois le temps consacré à l’écriture.
- Pour un auteur confirmé, le temps consacré à la correction représente entre une et deux fois celui consacré à la rédaction.
John Irving
Un minimum de vingt relectures est souvent considéré comme indispensable (mais Balzac affirmait avoir relu et corrigé « Le père Goriot » plus de cent fois !)
Stephen King suggère de laisser s’écouler une période d’au moins deux mois entre la fin de l’écriture et le début du travail de correction. Sa méthode consiste à entamer l’écriture d’un autre ouvrage, ou d’en finir la correction, pendant qui laisse « reposer » le premier. Il affirme que ce recul lui permet d’avoir un regard plus critique sur ce qu’il a écrit. La maîtrise du « King » n’est plus à démontrer. Selon ce qu’il déclare dans son livre Mémoires d’un métier, il consacre pourtant deux fois plus de temps à ses corrections qu’à l’écriture du premier jet.
Gustave Flaubert
Mon conseil personnel sur ce sujet part d’un principe très simple : tant qu’une relecture vous incite à changer quelque chose à votre texte, votre travail n’est pas terminé. Si après un temps de latence de quelques mois, une nouvelle relecture ne vous amène aucune réserve ni aucune envie d’amélioration, votre texte est peut-être achevé. Mais vous ne pourrez en être certain que si les lectures que vos proches accepteront de faire de votre travail aboutissent à la même conclusion. Peu importe que vos corrections vous prennent six mois, un an, ou dix ans : tant que vous êtes en mesure d’améliorer votre texte, vous devez le faire. Vous le devez à vos futurs lecteurs. Vous vous le devez à vous-même !