Pourquoi raconter sa vie ?
Écrire ses mémoires, CD, DVD… De plus en plus de seniors s’adonnent au récit de vie.
« À chaque fois qu’une personne âgée disparaît, c’est une bibliothèque qui part en fumée. » C’est par ce proverbe africain que s’ouvre cette thèse en sciences de gestion de Samuel Guillemot, soutenue en novembre dernier à l’université de Bretagne occidentale. Elle met en lumière un marché en pleine expansion : celui des services biographiques. Des sociétés proposent aux personnes âgées de concevoir leurs mémoires sous forme de livres, de CD, de films… Des ateliers d’écriture ou des stages spécifiques se développent également.
« Ils veulent d’autres histoires comme ça »
Mais pourquoi vouloir raconter sa vie ? C’est l’une des questions examinées par S. Guillemot. Tout en s’appuyant sur les recherches existantes, il a conduit trois collectes de données quantitatives auprès de 763 personnes de 60 ans et plus. Sur le plan qualitatif, il a mené 16 entretiens semi-directifs et une analyse lexicographique de 557 résumés de récits de vie. À l’issue de ce travail, il a distingué différents types de motivations qui peuvent s’entrelacer, puis il a évalué leurs influences sur la consommation de services biographiques.
Désirant faire connaître leur parcours, certaines personnes sont en quête de reconnaissance. La démarche biographique flatte leur ego. « Quand on me connaît, on dit que j’ai sacrément la pêche pour avoir survécu à des tas de choses un petit peu pénibles,explique ainsi Sylvette, 63 ans. Peut-être qu’au fond c’est ça que j’attends quand on me lit, une sorte de reconnaissance, quelque chose comme “dis donc tu reviens de loin”. » Dans certains cas, le récit de vie peut jouer un rôle thérapeutique. Il vise à réparer une blessure ou à se libérer d’un poids. Exemple : Claude, 63 ans, ancien communiste, regrette ses choix politiques. « Autant reconnaître ce qu’on a mal fait, autant dire aux jeunes “on s’est trompé”, peut-être que ça soulagera un peu ma culpabilité, ça me libère en quelque sorte. »
Tournés vers l’entourage, d’autres souhaitent échanger. Pierre, 82 ans, ancien chercheur dans des pays en développement, relate : « L’autre jour à Noël, j’ai ressorti pour mes petits-enfants des notes des Noëls des années 1960 où on était en Mauritanie, il y avait toute une correspondance entre ma femme et sa famille. Je l’ai recopiée. Alors ils voulaient savoir la suite, ils veulent d’autres histoires comme ça. »
« J’aimerais bien laisser une trace écrite »
La biographie peut également remplir une fonction posthume : l’idée est de rester dans la mémoire de ses proches après sa mort. « Moi personnellement, mon père ne m’a rien laissé et ça m’a peut-être fait souffrir, confie Simon, 60 ans. J’aimerais bien laisser une trace écrite à mon fils et à ma fille. »
L’objectif peut être également de transmettre un vécu familial. Djamila, 63 ans, a le sentiment d’être la dépositaire de l’histoire de sa grand-mère : « J’étais un peu sa confidente, son mari est mort à la guerre de 14, elle m’a montré toutes ses lettres. » Il s’agit aussi quelquefois de livrer un témoignage. Née dans un pays du Maghreb au temps de la colonisation, d’un père maghrébin et d’une mère française, Djamila tient aussi à « montrer que le racisme, ça fait énormément souffrir les enfants parce qu’ils ne comprennent pas ».
« Les paroles s’envolent, les écrits restent », affirme l’adage… En sélectionnant ce que l’on veut laisser à la postérité, le but est de « construire du sens », analyse S. Guillemot. À ses yeux, les biographies permettent de faire vivre « dans d’autres que soi » des choses jugées importantes, dignes d’être préservées.
Diane Galbaud
Mis à jour le 15/06/2011
Sources : http://www.scienceshumaines.com/pourquoi-raconter-sa-vie_fr_26817.htmlSamuel Guillemot, « Les motivations des personnes âgées au récit de vie et leurs influences sur la consommation de services biographiques », université de Bretagne-Occidentale, thèse soutenue en novembre 2010.
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